GESTION DE FAIT : DES RISQUES MESURES POUR LES GPs ?

Le capital-investissement français doit-il réellement craindre la gestion de fait ? La question est légitime pour une classe d’actifs dont les membres ne manquent pas de clamer leur forte proximité avec leurs participations, ne serait-ce qu’auprès des LPS. En pratique lorsqu’un fonds négocie une prise de participation majoritaire, la mise en place de la gouvernance laisse en général une forme d’autonomie au management. Tout cela avec un le souci, pour le financier, de s’assurer un contrôle sur certaines décisions importantes. Mais lorsque des difficultés surviennent, il peut être tentant pour l’actionnaire de se montrer plus impliqué dans la vie de l’entreprise, au-delà d’un changement de CEO ou de directeur financier…

Dans de telles situations, « l’objectif, pour les fonds de ne pas paraitre officiellement à l’origine des décisions de l’entreprise, sur ses affaires courantes. Mais, de manière officieuse, un certain nombre d’investisseurs peuvent aussi garder un fort contrôle sur ce type de décisions », explique ainsi Emmanuel Parmentier, associé au sein du cabinet de conseil en stratégie Indefi.

Car un actionnaire à intérêt à savoir trouver le sens de la mesure et de l’équilibre, dans ses interventions dans le portefeuille (et dans la manière de les effectuer). « Si, à la suite de difficultés ou d’une défaillance, une société se retrouve dans l’incapacité d’honorer certains engagement sociaux ou financiers auprès de tiers (salariés, créanciers, etc.), ces derniers auront pour réflexe naturel de se mettre en quête d’une contrepartie solvable pour leur adresser leurs demandes indemnitaires, résume David Jonin, associé du département droit social du cabinet d’avocats Gide.

Ce qui peut les amener, par voie de contentieux, à obtenir réparation du préjudice qu’ils ont subi auprès de l’actionnaire, en démontrant sa responsabilité dans le cadre d’une gestion de fait. »

Il revient alors aux instances judiciaires de qualifier si un actionnaire répond ou non du qualificatif de gérant de fait de l’entreprise qu’il détient. «  A la différence des pratiques qui existent dans les pays anglo-saxons, le droit français a une particularité : quelle que soit la situation qui lui est présentée, le juge ne se sent pas tenu par la nature juridique des relations qu’une société et sa maison mère ont établies, notamment dans le pacte d’actionnaires, rappelle David Jonin. En clair, le tribunal apprécie en premier lieu l’immixtion d’un actionnaire dans la gestion de sa filiale en se fondant sur la seule analyse des faits. »

Coemploi : une définition « resserrée »

C’est largement dans des contentieux ouverts en matière de droit social que des tribunaux ont été amenés à se prononcer sur le rôle qu’ont pu jouer certains actionnaires dans les aléas rencontrés par leurs filiales, depuis la fin des années 2000. Dans des sociétés en difficulté, des salariés et leurs représentants ont essayé de démontrer l’immixtion d’actionnaires dans la gestion de leur filiale pour mettre en lumière son caractère de « coemployeur ». Tout cela afin de faire porter ce dernier leurs demandes d’indemnités de licenciement. Voire même d’obtenir le reclassement de collaborateurs dans d’autres entreprises en sa possession. Il reste à savoir quels cas de figure relèvent d’une situation de coemploi ou non. La lecture des différentes jurisprudences permet d’un peu mieux cerner l’approche des juges.

« La cour de cassation, dans l’arrêt « Jungheinrich » en date de janvier 2011, avait retenu une définition trop extensive de la notion de coemploi, détaille Davic Jonin.

Dans ce texte, les juges ont estimé qu’un actionnaire agit en qualité de co-employeur dès lors qu’il y a une confusion d’activité avec une autre société. Ce qui peut être induit par une détention de 100% du capital, par le choix et le recrutement des dirigeants de la filiale et par le fait que le résultat de la maison mère dépend de l’activité de la filiale, etc. »

Par la suit, une série d’autres arrêts sont venus reprendre cette définition extrêmement large. Mais dans un autre arrêt, rendu le 2 juillet 2014, la Cour de cassation a resserré cette définition.

Elle y a été amenée dans le cadre de l’affaire Molex Automotive, qui avait fait l’objet d’un plan de sauvegarde de l’emploi et d’une liquidation judiciaire en 2009-2010. Les salariés de cet équipementier automobile s’étaient alors tournés vers l’actionnaire, l’américain Molex Inc., afin de lui adresser une demande indemnitaire pour leur licenciement.

Tout cela en lui imputant la qualité de coemployeur. Mais la Cour a jugé que Molex Inc, ne pouvait être désigné comme tel, dans ses relations avec sa filiale tricolore. « Dans son arrêt concernant cette affaire, elle a posé des limites importante à la notion de coemploi. La cour a en effet estimé que les liens de domination entre la société et sa maison mère ainsi qu’une coordination économique entre de telles entités ne sauraient caractériser à elles seules la situation de coemployeur de l’actionnaire », explique David Jonin.

Sublistatic et SGD

La portée de la jurisprudence sur le coemploi doit cependant être relativisée, à l’égard du monde du non-coté. Deux affaires nées à la fin des années 2000 avaient permis de mieux cerner les risques auxquels les sociétés de gestion s’exposent en la matière. La première, qui avait particulièrement fait grand bruit, concernait Sublistatic.

Après la liquidation judiciaire de cet imprimeur, des salaires ont attaqué en justice le financier qui était à sa tête, Acland Capital Investissement, en vue notamment de lui imposer des reclassements de collaborateurs dans d’autres participations. La seconde affaire concernait SGD. Les financiers qui avaient orchestré la prise d’indépendance du verrier par rapport à Saint-Gobain, en 2007, à savoir Sagard et Cognetas, étaient eux aussi visés, selon le même schéma, après la fermeture d’une usine de l’industriel. Mais des décisions de cours d’appel ont apporté une fin de non-recevoir aux demandes des salariés, dans les deux affaires.

Les juges avaient alors affirmé que les sociétés de gestion, en tant que représentantes de fonds d’investissement, ne formaient pas un groupe avec un les sociétés du portefeuille dont elles ont la charge – et ne pouvaient donc pas être qualifiés de coemployeurs. Ce qui fermait la porte à une permutation de salariés, entre les participations dans les mains d’un même véhicule. Les affaires Sublistatic et SGD ont pu néanmoins servir d’enseignement aux sociétés de gestion en leur rappelant de ne pas franchir certaines limites en matière de gestion de fait.

A cet égard, un autre arrêt rendu par la Cour de cassation, le 8 juillet 2014, a estimé que la responsabilité civile d’un actionnaire pouvait être engagée en matière sociale… et ce sans que ne soit retenue contre ce dernier la qualification de co-employeur.

Cela à la condition qu’il soit démontré que les décisions de l’actionnaire avaient engendré la dégradation de la situation économique d’une filiale. Mais aussi que cette faute est à l’origine d’un préjudice (qui doit lui aussi être prouvé.)